Si la violence n’est pas excusable, elle peut toujours être expliquée et n’apparaît jamais sans raison. Ces causes peuvent être rationnelles ou irrationnelles, si elles ne sont pas toujours visibles elles sont discernables pour peu qu’on veuille bien y réfléchir, qu’il s’agisse de la violence des Gilets Jaunes ou de celle de la police.
La violence de certains des Gilets Jaunes est aussi rationnelle
qu’irrationnelle, tout dépend du point à partir duquel on la regarde. Lorsque
la parole ne porte pas, lorsqu’on n’est pas entendu, lorsqu’on subit des
violences et qu’il faut faire face au mépris que reste-t-il à part la
violence ? On comprendra que cette violence a une origine rationnelle comme
pouvait l’être celle des anarchistes du 19ème siècle qui elle,
reposant sur une base idéologique forte, ne répondait pas, bien évidemment, à
la même « raison ». C’est cette rationalité qui est l’irrationnel,
quand la raison n’aboutit à rien reste la déraison ; chez les Gilets
Jaunes on perçoit plus de réactions à une situation alors que chez les
anarchistes l’idéologie conduisait à la violence par un choix pensé. Je vois
dans ces deux manifestations de violence deux analogies qui m’ont amené à les
mettre en miroir. D’abord le fait que leur parole n’était pas entendue et la
réponse que l’État donnait insuffisante ou insatisfaisante.
Quoi qu’il en soit la violence issue de mouvements sociaux
amène toujours une réponse de l’État et c’est moins sur la légitimité de la
réponse vis-à-vis des Gilets Jaunes qu’il faut s’interroger aujourd’hui que sur
la forme qu’a prise cette réponse. À cette violence l’État répond aujourd’hui
comme il répondit aux attentats anarchistes : par la violence. Les Gilets
Jaunes dans leurs demandes comme les anarchistes dans leur idéologie sont montrés
comme des agents de destruction de l’ordre établi et comme mettant en péril les
privilèges des classes « bourgeoises », plutôt que
« bourgeois » peut-être pourrait-on évoquer « les
possédants » qui donne une vue plus large ; effectivement un couple
d’employés au revenu moyen ou un petit commerçant ne peuvent pas être, par
rapport à l’imaginaire habituel, qualifiés de « bourgeois » au sens
classique mais rentrent bien dans la catégorie des « possédants »
parce qu’ils sont souvent propriétaires et qu’ils sont amplement installés dans
la société de consommation et de loisir. Ceux‑là exigent que l’État les
protège, eux et leurs « biens », donc protège leurs privilèges. Les
Gilets Jaunes sont vus par la majeure partie des « classes moyennes »
(les « possédants », bien évidemment aussi par les plus riches de
Français, comme des agents d’un péril qui pourraient remettre en cause leurs
privilèges. On retrouve bien cela dans le discours de représentants des petites
entreprises et des commerçants, ceux-là qui par ailleurs seront bénéficiaires
des allègements de charges sociales sur les salaires décidées suite à l’action
des Gilets Jaunes. Là s’arrête l’analogie entre le mouvement anarchiste et
celui des Gilets Jaunes ; si le premier manifestait bien la volonté de
renverser l’ordre établi et plus particulièrement l’État tel qu’il existait,
chez les Gilets Jaunes on est moins dans cette dimension politique (même si
elle existe sourdement) que dans une volonté de revendications sociales qui
peuvent se synthétiser par une demande d’augmentation du pouvoir d’achat et
d’une revitalisation des zones désertées par les services de l’État et par les
commerces.
Comment dans une République qui se veut démocratique, mettre
en avant que l’État aille défendre les intérêts des privilégiés contre ceux des
déshérités, contre ceux qui ne retirent aucun ou trop peu de bienfait de
l’évolution de la société voire en sont victimes ? Comment un président de
la République auquel colle, comme le sparadrap sur la chaussure du capitaine
Haddock, l’étiquette suivant laquelle il serait le président des riches,
comment, en termes d’images et de communication, pourrait-il mettre en avant qu’il
ne défendrait que « les possédants » ? Le gouvernement évoque alors
la défense de la République notamment après les incidents de l’Arc de Triomphe
dont la salle d’exposition fut dégradée et une copie d’un buste de Marianne
brisé : la République est attaquée entendra-t-on de toutes parts, et on
sortit les anciens combattants tels des oriflammes ! On comprendra que se
puisse avoir été le cas au regard de la déclaration de Gautier, un anarchiste,
lors de son procès[1] : « J’entends
que je ne crois pas que l’émancipation du prolétariat puisse s’accomplir
autrement que par la force insurrectionnelle. C’est déplorable sans doute, et
je suis le premier à le déplorer, mais c’est ainsi. » Peut-on le
croire s’agissant des Gilets Jaunes ? Il n’était apparu à personne en 2018
que les Gilets Jaunes s’attaquaient à la République, même la rébellion face aux
forces de l’ordre ne peut pas être considérée comme une atteinte à la
République sinon comme faudrait‑il considérer nos pères et mères qui
résistèrent violemment aux forces vichystes en 1940, sans parler de la
répression souvent sanglante de mouvements sociaux au 20ème siècle. Le
gouvernement dont toute l’action est orientée par et vers la satisfaction et la
confortation du monde de la finance et en faveur de la « mondialisation »
dont Macron ne cesse de vanter les mérites et dont il dit qu’on n’y peut rien modifier,
devait adopter une stratégie visant à discréditer le mouvement des Gilets
Jaunes et placer sa stratégie sur la défense des valeurs de la République. Le
pouvoir dispose alors de trois armes : la propagande, la loi et la police.
La première : la propagande comprend deux volets. Le
premier consista à montrer que les Gilets Jaunes avaient comme objectifs la
destruction de la République, j’y reviendrais lorsque j’évoquerai la police et
les violences policières. Le second volet de la propagande gouvernementale fut tardivement
mis en œuvre puisqu’il fallut attendre le 10 décembre, alors que le mouvement
avait débuté le 17 novembre, pour qu’elle connaisse un début de commencement. Dans
un premier temps, comme l’anecdote qu’on prête à Marie-Antoinette :
« puisqu’il n’y a plus de pain qu’on leur donne de la brioche » il s’est
agi de distribuer quelques « biscuits ». Il fallait donner à voir que
le pouvoir avait entendu et qu’il sait être généreux nonobstant « le
pognon de dingue » dépensé pour lutter contre la pauvreté. La brioche
avait un goût amer. D’abord « la brioche » n’apaisa guère la faim,
ensuite elle ne fut qu’un cache-misère. Qui, à part les affidés du
gouvernement, a pu croire à la fable des 10 milliards (17 disent certains)
débloqués par Emmanuel Macron ? Une bonne partie de cette somme n’était
pas un cadeau, elle était le fait de l’augmentation réglementaire du SMIC, et d’autres
semblaient trop provisoires et aléatoires, certaines étaient le fait du bon
vouloir des entreprises, certains furent laissés de côté par ces mesures, surtout
cette annonce ressemblait trop à de l’aumône avec son caractère conjoncturel,
éphémère et signifiant de mépris et d’indignité pour que ce soit accepté. Seuls
les « possédants » s’en satisfaisaient même si ce sont eux qui payent,
et ils ne comprirent pas, comme ils n’avaient pas compris les raisons du
mouvement, que les « pauvres » ne savent pas s’en contenter. Depuis
il ne fut pas un jour sans que les députés LREM ne viennent sur les plateaux de
télévision et devant les micros des radios chanter la chanson à la gloire d’un
gouvernement qui débloquait tellement de « pognon de dingue », il n’y
eut pas de journalistes pour démonter cette aumône notamment en rappelant
qu’une grande partie venait de l’augmentation automatique, parce que
réglementaire, du SMIC. Il s’agissait de montrer que les « vilains »
Gilets Jaunes en ne se contentant pas de l’aumône présidentielle sont
d’horribles voyous qui n’ont comme objectifs que la remise en cause de l’ordre
social et la destruction de la République.
S’il en fut ainsi c’est autant par stratégie chez le
président de la République qui a visiblement bien appris du livre Propagande
d’Edward Bernays inventeur du markéting et de la propagande moderne. Si la
propagande a fonctionné dans un premier temps, bon nombre de Gilets Jaunes des
débuts ont rejoint leur foyer se contentant de cette aumône. Cette propagande manquait
de substrat pour attirer ceux qui n’étaient pas convaincus par les annonces du
10 décembre et moins encore pour retourner les opposants. Pour qu’une propagande
réussisse il faut que le produit possède un minimum de qualité qui réponde à un
maximum d’attentes des gens à qui elle s’adresse. Or, en 2018, personnes ne
comprit, ni Macron du haut de son Olympe narcissique, ni la plupart des
parlementaires, notamment de droite engoncés dans leur principe de défense des
« bourgeois » au nom de la République comme ceux du mouvement
présidentiel marqués du sceau d’une cécité absolue du fait social, ni les
membres du gouvernement soumis à la parole présidentielle, ni la plupart des
journalistes, personne de ceux au pouvoir ou étant des relais d’opinion ne
comprit que les Gilets Jaunes ne demandaient pas la charité mais des mesures
concrètes et pérennes de réformes qui amélioreraient leur vie, qui leur
apporterait le bien-être auquel légitiment tout citoyen a droit, et personne
n’a compris que les annonces du 10 décembre n’effaceraient ni les discours
ignobles des députés macroniens et de la presse bien‑pensante ni les violences
policières des premières manifestations, notamment celle du 1er
décembre. Le « Débat national », pièce maîtresse de cette propagande,
n’a pas apporté les fruits espérés, peut‑être faut-il considérer qu’il a été un
échec ; il a été vécu par une majorité de Français comme un effet de
manche, voire une bouffonnerie car rien de palpable en est sorti. Même si le gouvernement
continue sa propagande et sa stratégie de communication : les rencontres
citoyennes pour la réforme des retraites, la Convention citoyenne pour le
climat, les déambulations somnambuliques du Président, Macron sait autant qu’il
voit que ça ne suffira pas à « calmer » le jeu. Alors il met en œuvre
ses deux autres armes : la loi et la police.
Le pouvoir dispose d’un arsenal juridique important qui n’a
pas cessé de s’accroître depuis le dernier tiers du 19ème siècle,
Raphaël Kempf[2] en rend compte dans son
livre. Comme chaque fois qu’une situation sociale amène une opposition ferme,
même si elle n’a rien d’insurrectionnel, de la part de citoyens ou que des
évènements comme les attentats terroristes, ces situations peuvent être l’occasion de museler les
oppositions de quelle que nature qu’elles soient, le pouvoir réagit par la mise
en place d’un arsenal juridique d’exception. Ce gouvernement, bien que du
« nouveau monde », n’a pas fait exception à ce principe de
gouvernement, ainsi fut votée et promulguée la LOI n° 2019-290 du 10 avril 2019 visant à
renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations dans laquelle certains
articles confinent au comique : « Art.
431-9-1.-Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait pour
une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie
publique, au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont
commis ou risquent d’être commis, de dissimuler volontairement tout ou
partie de son visage sans motif légitime. ». En
soi cet article n’a rien d’extraordinaire sauf qu’il faudra prouver le motif
légitime : un rhume, une rage de dents…, et comment le quidam pourra-t-il
savoir ou percevoir qu’un trouble à l’ordre public risque d’être
commis ? Cette loi offre de nouvelles armes à la police pour effrayer,
humilier et réprimer les citoyens en complétant l’arsenal mis en place au 19ème
siècle, augmenté au fil des vicissitudes de l’histoire notamment durant le
quinquennat de François Hollande. Cet arsenal juridique a permis de sanctionner
de peines d’amende et d’incarcération de très nombreux « Gilets
Jaunes » et même des passants et des journalistes sans pour autant calmer
le mouvement ; sans doute faut-il accorder à la répression judiciaire un
succès : celui du retour au foyer des moins téméraires des Gilets Jaunes,
tout le monde ne peut pas supporter le paiement des amendes et des frais de
justice, la perte de salaire lors d’une incarcération. Reste les irréductibles.
Pour réduire les irréductibles il ne reste que la force, du moins est-ce une pensée bien ancrée chez les gens de pouvoir, notamment s’ils ont lu Machiavel ; quand ça fonctionne ça ne le fait que de façon transitoire car la colère demeure, la force crée un refoulement chez les contestataires mais ne tue pas la rancœur. Emmanuel Macron qui a en horreur toute expression d’une pensée dissidente et critique, a utilisé la police, bras armé du gouvernement (plus que de l’État) avec un double objectif : répressif bien sûr, mais aussi offensif pour créer de la violence. Les images des manifestations montrent comment la stratégie de contact a transformé la police en force d’agression à laquelle les « irréductibles » Gilets Jaunes répondent, peut-être de façon irrationnelle, par la violence. Dans mon livre[3] je fais une longue analyse d’un cas précis : celui de la manifestation du 1er décembre sur les Champs Élysées, où je montre que l’offensive est venue de la police. Au-delà on s’interrogera sur le discours à propos des blacks blocs dont aucun n’est jamais interpellé, il n’y en a pas dans d’autres manifestations, comme ils étaient inexistants au moment du G7 qui est pourtant leur cible de prédilection. Comment ne pas se poser la question de l’infiltration des manifestations par des policiers ou des auxiliaires de la police chargés de procéder à des destructions. La police ne le nie pas et explique qu’il n’y a rien d’exceptionnel à ce que des policiers en civil se mêlent aux manifestants. Ainsi, nous pouvons lire sur le site de France Info (18 novembre 2019) : « Pour Jean-Marc Bailleul[4], il est malgré tout « paradoxal » de penser que les policiers en civil « seraient là pour faire le mal ». « C’est pour le bien des manifestants. Il faut distinguer les casseurs qui se mêlent à eux », exposait le syndicaliste l’an dernier. Pour y parvenir, la « solution », pour les forces de l’ordre, c’est d’être « noyées » parmi eux. « Ce n’est pas pour nuire aux ‘gilets jaunes’ : c’est pour faire le tri entre vrais et faux », poursuivait-il. » Vu l’inexistence d’arrestation de black bloc la question est donc de savoir ce qui est faux et ce qui est vrai. Cette pratique de l’infiltration ou de la provocation n’est pas nouvelle, Raphaël Kempf cite celle du 1er mai 18891 où la police fit irruption dans l’établissement d’un marchand de vin où s’étaient réfugiés des manifestants ce qui provoqua un mouvement de panique, une bagarre et des coups de feu furent tirés. Bien entendu pour le pouvoir de l’époque et pour les juges (était-ce dissociable en 1891) les fautifs ne pouvaient être que les anarchistes mêlés aux manifestants, la police n’avait fait que son devoir. Ça rappelle un peu l’incident de la fête de la musique à Nantes ou la manifestation à Nice où une manifestante âgée fut gravement blessée lors d’une charge de police. D’ailleurs dans le même état d’esprit la première réaction du président Macron à propos de Nice fut de nous expliquer que quand on a un âge certain il ne faut pas aller manifester. Le pauvre a toujours tort face à la police, ce que peut illustrer la phrase imbécile du Préfet de police de Paris répondant à une manifestante : « « Oui, je suis ‘gilet jaune' », lui dit-elle. Didier Lallement passe alors son chemin et lance en s’éloignant : « Et bien, nous ne sommes pas dans le même camp madame ». » La police, bras armé du pouvoir, est là pour défendre les dominants et les privilèges sous prétexte de défendre la République comme si on ne pouvait pas avoir une république sans privilège, il me semble même que c’était le fondement voulu par les premiers républicains exprimés par la Nuit du 4 août 1789 mettant en acte l’abolition des privilèges. Depuis les privilèges se sont déportés de la noblesse vers ceux du monde de l’argent et leurs affidés comme l’indiquent les propos[5], lus à la Convention, de ceux qui demandaient, en 1793, la création d’une armée révolutionnaire : « Les hommes qui ont de l’argent, ont succédé à ceux qui avaient des parchemins ; les riches ne valent guère mieux que les nobles ; comme eux, ils sont les ennemis du pauvre et désirent la contre-révolution pour l’opprimer. » Bien sûr, aujourd’hui pas question d’armée contre‑révolutionnaire d’ailleurs la demande ci‑dessus ne voulait pas s’opposer à une armée spécifique mais à l’armée qui existait et à laquelle le pouvoir de l’époque demandait de mener l’offensive contre « les ennemis de l’intérieur ». De nos jours, après qu’eurent lieu de nombreux débats au cours du 19ème siècle, c’est bien à la police que le pouvoir confie la mission de maintien de l’ordre. Dans sa conception moderne le maintien de l’ordre c’est à la fois préserver l’État et protéger les citoyens en préservant leurs biens. Clémenceau présentait « les forces de l’ordre comme des instruments de préservation sociale, « comme la garantie de tous les citoyens dont la liberté est opprimée par autrui. C’est pour le maintien du droit que la police et la force publique doivent être mises en mouvement.[6] » Le gouvernement de Clémenceau en même temps qu’il promouvait la police judiciaire ne supprimait pas la police politique mise en place sous le Second Empire et renforcée à partir de 1870, période où la République s’est souvent sentie menacée. On voit bien comment dans le cas des anarchistes qui perpétrèrent des attentats, ou dans celui des attentats terroristes depuis 1995, les citoyens peuvent adhérer à l’idée d’une police politique, il est plus difficile de les faire adhérer à une force de maintien de l’ordre dévolue à la police. Alors, il faut un évènement marqueur d’un danger pour que le citoyen accepte que la police « protectrice » devienne une police « offensive » pour protéger. Le public et la police sont alors dans une sorte d’injonction paradoxale : être offensif pour protéger. Pour que le public accepte ce caractère offensif il faut qu’il ait peur et l’État joue sur cette peur pour asseoir son action, il l’utilise pour gouverner ; certains ont écrit que la peur peut être vue comme une idée politique et, en tout cas, comme un levier essentiel pour un pouvoir en position de domination, une domination pour partie consentie, notamment pas « les possédants ».
Macron a créé une peur comme on le fit avec la Bande Noire en 1882[7]. Comme en 1882, la presse fut sinon complice du moins l’agent de propagation de ce processus mais la majorité des journalistes n’appartiennent-ils pas à la catégorie de ceux qui consentent à être dominés, ne sont-ils pas de la catégorie des « possédants » donc privilégiés ? Montrer les Gilets Jaunes comme ceux qui mettent en péril l’ordre social, la République, pire comme des agents du désordre économique en empêchant le bon déroulement du commerce, c’est les diaboliser et les amener au même niveau que les terroristes. Macron n’est-il pas allé, lors de sa déambulation à Amiens le 22 novembre, jusqu’à fustiger les oppositions[8] : « Les uns et les autres parfois agités par une logique politicienne ou des considérations que je ne partage pas cherchent chaque occasion de semer le désordre. » Cela rappelle cruellement la politique judiciaire du 19ème siècle où pour contrer l’anarchisme, et au passage le socialisme, on en vint à créer un délit « d’idée », des gens furent condamnés au seul fait qu’ils étaient abonnés à un journal favorable au mouvement anarchiste. Macron n’oublie pas de discréditer une fois de plus le mouvement des Gilets Jaunes : « Je ne néglige pas ce qu’on a appelé le mouvement des Gilets jaunes, je dis “ce qu’on a appelé” car je ne suis pas sûr que les manifestants soient les mêmes aujourd’hui qu’il y a un an, le réveil de cette France qui travaille, de ces mères seules. Cette France se sentait déclassée. Et ça, ça a été un coup de semonce. »
Dans
un tel contexte où toute parole d’opposition au pouvoir est discréditée, la
police, sur ordre du pouvoir, joue un rôle essentiel : maintenir l’ordre
et conforter la peur que le pouvoir instille. Ne nous étonnons donc pas que le
préfet Michel Delpuech ait été rlimogé et qu’on ait mis à la tête de la
préfecture de police un préfet à la fois obéissant jusqu’à être servile ; le
journal l’Opinion[9]
le décrivait comme autoritaire et efficace, Libération[10] écrivait « Qualifié
de « fou furieux » par certains collègues, il devrait appliquer une
stratégie de fermeté lors de « l’acte XIX » des gilets jaunes. »
Macron a trouvé son « homme », homme de main. La stratégie de la peur
voulue par Macron est désormais installée, malgré tout 55 % des Français[11] approuvent encore, en
novembre 2019, le mouvement des Gilets Jaunes. En même temps, si l’image de la police
demeure bonne dans l’opinion[12] (74 %), cette image
en baisse sensible par rapport à 2018. Mais ce sont plutôt les chiffres
relatifs à son action lors des manifestations qu’il faut analyser :
« Interrogés sur l’usage de la force par la police depuis le début des
manifestations dans le cadre de la mobilisation des « gilets
jaunes », 39 % des Français considèrent qu’il a été excessif, 32 % insuffisant et 29 % adapté. » Le sondage de
l’institut Elabe montre bien la dispersion selon la catégorie à laquelle
appartiennent les sondés qui confirme l’existence d’une profonde cassure dans
la société française entre « les possédants » et les autres, les
privilégiés et les autres…
Le
pouvoir, dirigé par Macron, a voulu une politique de la peur servit par une
police, bien entendu, aux ordres jusqu’à être servile ; l’histoire nous
montre que la police en tant qu’institution est avant tout, dans de telles
situations, le bras armé du pouvoir jusqu’à renier les idéaux républicains qui l’ont
fondée, on l’a vu en 1942, on l’a vu les 2 et 3 avril, puis les 7 et 18 octobre
1961, et Metz les 23 et 24 juillet 1961. Toutefois la police ce n’est pas le
policier qui demeure un individu, une femme ou un homme, ais alors jusqu’où une
femme, un homme, un policier, peut-il s’asservir à un pouvoir ? Là se trouve
l’explication des violences policières : elles sont dans la raison puisqu’elles
correspondent à une commande d’un gouvernement et répondent aux ordres de la
hiérarchie. Le paradoxe c’est que les violences policières finissent par
répondre à la violence qu’elles ont suscitées. Elles essaient de se masquer
derrière un voile de pudibonderie ou d’honnêteté républicaine quand, par
exemple, on punit un policier qui a jeté un pavé dont la violence ne peut être
qualifiée que d’irrationnelle.
Macron,
à Amiens, déclarait : « Il n’y a pas de démocratie s’il n’y a pas
de respect ». Le respect de quoi, de qui, et doit-il être à sens
unique ? Il devrait sans doute méditer cette phrase de Clémenceau
défendant la loi sur la presse en 1881 : « Si la République vit de
la liberté, elle pourrait mourir de la répression ! ». Tous les Gilets
Jaunes finiront par rentrer chez eux, mais gare à ce que la France ne se tourne
pas vers un extrême peu avenant.
[1]
Raphaël Kempf, Ennemis d’État, La Fabrique.
[2]
Raphaël Kempf, Ennemis d’État, La Fabrique.
[3]
Jean-Jacques Latouille, Gilets Jaunes, Iggybook.
[4] Jean-Marc Bailleul, du Syndicat des cadres de la sécurité
intérieure (SCSI-CFDT).
[5]
Maxime Kaci, « portez sur les traîtres la lumière et le glaive »…, in La République à l’épreuve des peurs,, Presses
Universitaires de Rennes.
[6]
Laurent Lopez, Sauver la France, défendre la République, protéger les
citoyens : les forces de l’ordre et les injonctions sécuritaires de la
Belle Époque, in La République à l’épreuve des peurs, Presses Universitaires de
Rennes.
[7]
Lisa Bogani, Sébastien Soulier, péril social et société assaillie, quand la
Bande Noire de Montceau-les-Mines a fait trembler la justice républicaine, in
La République à l’épreuve des peurs, Presses Universitaires de Rennes.
[8]
Site de BFMTV consulté le 23/11/2019 https://www.bfmtv.com/politique/en-direct-emmanuel-macron-en-visite-a-amiens-les-ex-whirpool-veulent-lui-demander-des-comptes/
[9]
https://www.lopinion.fr/edition/politique/autoritaire-efficace-prefet-police-paris-didier-lallement-applique-185889
[10]
https://www.liberation.fr/france/2019/03/23/lallement-le-nouveau-prefet-qui-fait-flipper-les-flics_1716932q
[11]
LCI https://www.lci.fr/social/en-direct-gilets-jaunes-sondage-un-an-apres-en-novembre-2019-55-des-francais-approuvent-le-mouvement-2103673.html
[12]
Sondage ELABE, https://elabe.fr/police-nationale/